Titre : Reines et Dragons
Anthologie dirigée par : Sylvie Miller et Lionel Davoust (premier essai réussi pour les successeurs de Stéphanie Nicot).
Auteurs : Pierre Bordage, Charlotte Bousquet, Nathalie Dau, Anne Fakhouri, Mélanie Fazi, Mathieu Gaborit, Thomas Geha, Vincent Gessler, Chantal Robillard, Adrien Tomas, Erik Wietzel.
Éditeur : Mnémos.
Nombre de pages : 204
Prix : 18 €
Illustration : Kerem Beyit.
Quatrième de couverture : "Les ailes immenses. Le corps vaste. La tête cornue et mobile au bout du cou. Et ces plaques d'écailles d'un bleu noir. La reine Ayline aurait pu défaillir si elle n'avait connu une succession d'épreuves, si elle n'avait été ballottée d'un cauchemar à l'autre. Son cœur était celui d'une guerrière : il n'était pas invincible mais il ne cesserait de battre qu'au prix d'une défense farouche. Elle sortit son glaive du fourreau ; il lui sembla dérisoire face à la puissance du monstre qui se percha sur l'édifice, ailes toujours déployées."
[…]
D'un univers à l'autre, de l'exaltation aventureuse à la retenue intimiste, tout l'éventail de la Fantasy se déploie, porté par sa créature la plus légendaire et par sa figure la plus complexe. Drégonjon et son Elfrie, Chuchoteurs de dragons, Reines protectrices ou vengeresses, Sœurs de la Tarasque, Éveilleuse entre les mondes, Déesse aux deux visages : vivez les frissons de l'épopée et de l'émotion, assistez à la confrontation de ces Reines et Dragons !
Mon avis :
L'anthologie Victimes et Bourreaux m'ayant laissé un peu sur ma faim, j'ai commencé celle-ci avec une pincée d'appréhension : si j'aime les dragons sous leurs formes les plus diverses, les personnages féminins gagnent rarement mes faveurs aussi, le côté 'reines' m'a fait grincer des dents en le découvrant mais l'appel des dragons a été plus fort et je ne regrette pas d'y avoir succombé.
D'une manière générale, Reines et Dragons est une anthologie bien pensée. Les textes s'enchaînent de manière cohérente et, pour une fois, je n'ai fait qu'une entorse à mon habitude de lire dans le désordre : j'ai craqué pour le titre "Under a lilac tree" et je n'ai pas pu me retenir de la lire juste après celle d'Adrien Tomas. J'ai également apprécié la diversité des univers, la grandiloquence des décors et la poésie présente de mille manières dans chacun des textes réunis ici (encore bravo à Sylvie Miller et Lionel Davoust, ils ont fait un beau travail). C'est cette pluralité qui fait, à mon avis, toute la magie de cette anthologie : chaque auteur a réussi à donner à la relation Reines/Dragons, une force et une profondeur qui lui est propre c'est ce qui fait toute la saveur de cette anthologie. Je ne m'attarderai pas sur les relations entre les deux créatures de peur de déflorer l'intrigue des nouvelles mais je n'ai été déçue par aucune d'entre elles et, si j'avais peur de trouver des schémas classiques, j'ai été grandement détrompée.
Les nouvelles :
L'anthologie commence par une belle œuvre poétique de Chantal Robillard : "Le dit du Drégonjon et de son Elfrie". Dans leur préface, Sylvie Miller et Lionel Davoust conseillent au lecteur de lire ce texte à voix haute et ils ont bien raison ! Un dit est une forme de poème vouée à être lue à haute voix (si si c'est même dit dans le dit (aha aha aha)) et Chantal Robillard maîtrise ce genre avec un brio certain. Le texte est entraînant et parfait pour entrer dans l'anthologie même si j'ai mis un moment à rentrer dedans (à cause du rythme non classique des vers). Cependant, une fois ce souci passé, je me suis laissé porter par l'histoire de ces Elfries et du Drégonjon. L'univers est à peine effleuré mais on en sent toute la profondeur en quelques phrases bien placées. J'ai aimé cette écriture qui touche juste, cette violence qui n'a pas besoin de dizaines de lignes pour la justifier, l'expliquer, etc. Ajoutez à tout ça une psychologie des personnages bien maîtrisés et un retournement inattendu et vous avez une très bonne première nouvelle.
Thomas Geha offre, avec ses "Chuchoteurs du dragon" une nouvelle ancrée dans un univers riche que j'aurai aimé découvrir plus en profondeur mais, si je reste sur ma faim à ce propos, je dois reconnaître que le reste tient ses promesses. Ici, la relation entre la reine et le dragon commence à prendre forme, s'immisce dans les rêves plus que dans la réalité. Le décor que dessine Thomas Geha prend alors toute son importance. La reine Hiodes est perdue dans un palais dans lequel elle n'aurait jamais voulu se trouver, entourée d'hommes rompus aux complots de cours, dans une atmosphère qui s'obscurcit à chaque instant. L'atmosphère angoissante se resserre autour des personnages tandis que le mystère qui entoure le dragon se lève et donne toute son ampleur à l'intrigue. La chute n'a fait que renforcer mon opinion sur ce texte et sur l'auteur, une très belle découverte.
Je ne connaissais pas Adrien Tomas avant de découvrir sa nouvelle, "Ophëa", bien jolie découverte. Ophëa, reine d'un royaume qu'elle tente de diriger après la mort de son roi, se retrouve contrainte à trouver un nouvel époux pour le bien du royaume. Rusée comme Pénélope, elle décide de n'épouser que l'homme ayant assez de courage et de bravoure pour tuer le dragon qui causa la mort de son mari. C'est là que la nouvelle prend les habits de l'épopée. Mais il ne faut pas se tromper et penser ne trouver là qu'un texte classique de chevaliers et dragons, car Adrien Tomas sait où il va et, une fois terminée, la nouvelle n'en est que plus délectable.
"Au cœur du Dragon d'Anne" Fakhouri est une nouvelle au style fluide et à l'univers intéressant mais j'ai trouvé les personnages traités un peu trop rapidement pour que je puisse m'y attacher réellement. Ceci dit, j'ai aimé l'originalité du monde crée par l'auteur et sa manière de nous le faire découvrir. Malheureusement, j'ai lu sa nouvelle juste après celle de Mathieu Gaborit (l'une des meilleures nouvelles de l'antho pour moi), donc mon avis était forcément biaisé par ma lecture précédente.
Le texte de Justine Nigoret aurait pu être mon texte préféré s'il avait été un peu plus court. "Achab amoureux" ou "La grande déesse de fer de la miséricorde" (le premier titre se trouve en tête de chaque page, le second au début de la nouvelle et, comme j'aime les deux, je n'ai pas su trancher) est un texte barré, surréaliste, il y a un vrai travail sur la langue, sur sa poésie mais aussi sur la quête et sur la fantasy en général. Le décor peint est grandiose et tordu à souhait. Bref, il y a une foule de choses qui fait que j'aime cette nouvelle mais j'ai trouvé qu'elle s'essoufflait sur la fin, que l'ambition du texte étouffait le texte lui-même et c'est dommage (même si la nouvelle reste la plus courte de l'anthologie).
"Morflam" de Pierre Bordage est un récit simple dans sa forme mais, sublimé par la plume fluide et entraînante de l'auteur, se transforme en une nouvelle qui, si elle ne transcende pas le genre reste originale et extrêmement agréable à lire. Une vraie bouffé d'air frai après l'univers déjanté de Justine Nigoret. J'aime ces textes où je sens que l'auteur n'a pas cherché à en faire des tonnes, juste à offrir à son lecteur un agréable moment, et c'est réussi.
De Charlotte Bousquet, j'avoue ne connaître que le côté novelliste et j'ai été contente de la retrouver dans cette anthologie avec sa nouvelle "Azr'Khila". Ce que j'apprécie chez elle c'est sa manière de traiter la violence, avec une subtilité qui de voile rien mais qui permet de la sublimer et de la dénoncer avec doigté. J'ai également aimé le choix du décor : des étendues arides, des peuples nomades, des divinités cruelles et protectrices, des odeurs d'épices, de sang et de chèvres (j'aime les chèvres et leurs odeurs et je l'assume). La reine de l'histoire est peut-être ma préférée de toutes et j'ai aimé la manière dont Charlotte Bousquet a su la magnifier, la rendre forte, puissante et attachante.
"Où vont les Reines" est un texte dont je suis ressortie avec un goût amer aux lèvres, sensation que j'apprécie tout particulièrement. Je ne savais pas trop quoi penser de ce texte avant de lire la dernière phrase. J'aime les textes qui vous portent sans vous chambouler, ceux un peu contemplatifs, lents, centré sur un personnage, et qui viennent, en une phrase, renverser toutes vos certitudes (bon je triche un peu, le texte prend toute sa force à deux paragraphes de la fin mais la dernière porte à elle seule 95% de la tension). "Où vont les Reines" fait parti de ces textes qui me bouleversent, dont la force m'émeut encore à leur simple évocation et je suis heureuse d'avoir craqué pour l'anthologie, ne serait-ce que pour cette découverte.
"Le monstre de Westerham" d'Érik Wietzel permet de s'intéresser un peu plus au rôle du dragon non seulement envers les hommes mais aussi envers ses semblables. La nouvelle prend le contrepied à ce qu'on attend d'elle et crée un univers que j'aurai aimé explorer davantage. Servis par un style précis et direct, les enjeux humains et dragoniens (dragoniques ?) permettent à l'intrigue de prendre de l'ampleur et de gagner petit à petit en tension. La relation entre les deux personnages est bien pensée et, même si je trouve que la fin aurait pu être plus forte, elle n'en demeure pas moins juste et dans la lignée du reste du texte.
Avec "Under a lilac tree" Mathieu Gaborit prend la première place sur le podium de mes nouvelles préférées de l'anthologie. Sur fond d'urban fantasy – que je n'apprécie que rarement et modérément – il offre à Paris un voile onirique et poétique. Chaque image évoquée est à la fois forte et éthérée et elles s'enchaînent, comme des visions troubles, tout au long du texte. J'ai aimé l'atmosphère qui se couvre de givre à mesure que la Reine/Muse tente de remplir son devoir, les évocations visuelles suscitées par les descriptions, la place du rêve dans les pensées de l'artiste, toute cette réflexion sur l'imagination et la création. Je me suis laissée emporter par les mots, par la sensation de froid qui gagne en intensité à mesure qu'avance le récit, j'ai chevauché les ailes du dragon et vu, sous moi, le Paris de Mathieu Gaborit se dessiner. Je le remercie d'avoir mis un peu de magie et de fantasy dans mon quotidien, les trajets en bus ou en métro ne seront plus les mêmes désormais.
J'ai été heureuse de retrouver la plume, fine et sensible de Nathalie Dau grâce à sa nouvelle "Cet œil brillant qui la fixait". Une fois n'est pas coutume, Nathalie Dau évoque l'amour et le sacrifice et le désir de liberté qui exacerbe l'ensemble. C'est une histoire belle et triste qu'elle nous conte, pleine de dualités et de liens qui se forment, de douleur, de compassion, de compréhension. Je me suis laissée portée d'un bout à l'autre comme on se laisse porter par les contes et, une fois le voyage terminé, j'ai été emplie de ce sentiment étrange de sérénité qui marque la fin des belles histoires.
C'est à Mélanie Fazi que revient la lourde tâche de clôturer l'anthologie et c'est, une fois encore, un excellent choix de la part de Sylvie Miller et Lionel Davoust. "Les sœurs de la Tarasque" a été, pour moi, une leçon d'écriture. Les sentiments confus des personnages, le monde décrit sans en avoir l'air, la subtilité dans l'atmosphère et la tension qui monte dans le cœur de la jeune Rachel. La force des personnages de Mélanie Fazi m'a impressionnée, elle peint ces adolescentes – avec leurs luttes intérieures, leur jalousie, leurs espoirs, leurs contradictions – avec une telle justesse que j'en suis restée admirative. Une très elle manière de terminer la lecture de cette anthologie.
I.
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